
Alors que je m’inscrivais pour l’UTMB et que je préparais tranquillement mes premières sorties skis, Benoit me parle une n-ième fois du trail en Allemagne, là où la bière remplace les boissons isotoniques.
Je m’inscris donc pour cet ultra-trail (100 kms et 5 420 m de D+) en guise de dernière répétition avant l’UMTB sur une longue distance.
La veille de course
7h de route pour ralier Garmisch-Partenkirchen, à la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche, là où les JO 2018 auraient du avoir lieu si Munich avait gagner face à Pyeongchang et Annecy.
En arrivant sur les lieux, je retrouve Benoit et sa copine et on file récupérer les dossards et rencontrer quelques amis runnings de Benoit. La discussion se fait en allemand, avec la fatigue et mon manque de pratique, je lutte pour comprendre ce qui se dit. La pasta-party est cependant franchement sympa, avec en options des shows typiquement bavarois et de la bière (sans alcool, vous croyez quoi ?) et des bretze.
22h, après avoir préparer le sac de course et la tenue qui va bien (RT5.2 aux pieds, short Quechua, t-shirt Columbia et foulard GoodPeopleRun), je file me coucher pour tenter de récupérer avant le départ.
Le départ
Le départ doit être donné à 7h15. Pas trop tôt pour pouvoir dormir un peu, et surtout, partir de jour…
Le brouillard est là, on ne voit pas le Zugspitze (sommet le plus haut d’Allemagne, autour duquel nous allons tourner avec le trail). Le contrôle du matériel obligatoire se fait avant de rentrer dans le SAS de départ. La liste est plutôt longue mais très intelligente :
- Chaussures de trail pour terrain alpin
- Vêtements de pluie
- Vêtements longs
- Des gants et un bonnet ou foulard
- Lampe frontale et batterie de remplacement
- Réserve d’eau contenant au moins 1,5 litres
- Équipement d’urgence (trousse de premiers secours, couverture de survie, sifflet)
- Roadbook et les cartes détaillées et le profil d’altitude de tout le parcours (fourni par l’organisation)
- Sac à dos
- Téléphone portable
Pour une fois, je n’ai pas le kit de premier secours, mais l’organisation verra que j’ai un tube de pastille Isostar, une bande d’élasto et une couverture de survie avec une boussole et un sifflet, c’est bon… je peux rentrer. Je retrouve Benoit sur les premières places de la ligne de départ. Je sais que je ne suis pas à ma place mais cela me permettra d’observer le départ neutralisé.
Ça y est, le départ est lancé, je laisse passer la meute et me place sur un rythme qui m’ira bien, soit à 150 puls/min au cardio. Le parcours propose une première partie grimpante de 800 m de D+ sur environ 20 kms pour rejoindre les pistes de skis du Tyrol autrichien d’Ehrwald.
Je suis plutôt bien dans cette montée, je finis même la dernière côte avant de redescendre en courant, un concurrent du nord de l’Allemagne me demandant qui pouvait bien courir dans cette pente à très fort coefficient.
S’en suis une petite redescente, très sympa et ludique dans les bois des pistes des skis.
Je lâche les poneys et double plusieurs concurrents.
J’ai l’impression que les allemands sont plutôt prudents en descente. On attaque ensuite une grosse remontée vers le point le plus haut du parcours : Feldernjöchl.
Là-haut, la vue devrait être super belle sur les montagnes dixit Benoit… ben on ne voit pas à 10 m ! La suite du parcours va me rappeler le trail de Verbier avec sa montée à la cabane de Mille, avec un chemin plutôt en pente mais très long car le sentier suit la montagne et celle-ci est composée de profondes combes dans lesquelles dévalent les eaux froides de torrents de montagne.
On fera aussi une belle et longue descente de névé, équipée d’une longue corde, fixée régulièrement au sol avec des broches à glace.
En bas de la descente, j’ai vraiment mal aux genoux, j’ignore pourquoi, c’est la première fois que cela m’arrive en trail. Le sentier est certes cassant avec des grosses pentes et pas très délimitée. On court plus dans les mini-canyons creusés par la pluie que sur les habituels sentiers de pierres cassées et tassées que l’on retrouve sur le reste du parcours. N’ayant pas envie de forcer sur la mécanique bien éprouvées par le trail des allobroges et le raid aventure-chablaisienne, je me laisse 10 kms pour que ces douleurs passent, sinon ça sera l’abandon. On n’est qu’au 35e kms de course…
La montée suivante vers Scharnitzjoch se fait en compagnie d’un coureur français vivant à Berlin. On discutera de course à pied, de Paris, d’Ambit vs Fenix … et il disparaitra lorsque la pente s’élèvera pour rejoindre le col, 300 m plus haut.
Au col, je prendrais le temps de ravitailler et de faire quelques photos de la course, avant d’entamer une longue descente vers le ravitaillement V5.
Les douleurs aux genoux semblent avoir passées, même si je galère vraiment pour descendre. Hormis la première descente, je me traine vraiment sur ces sentiers avec leurs multiples marches qui cassent le rythme et tapent dans les articulations. Je ne me cherche pas vraiment d’excuses, juste que je n’arrive pas à descendre comme je le voudrais sur ces sentiers et ça a le don de m’énerver au plus haut point.
Au ravitaillement V5, je prends le temps de bien me restaurer en m’installant dans un transat GoreTex. On vient de passer la mi-course, j’ai mis un peu plus de 8h30 pour faire 50 kms et presque 4 000 m de D+. Reste maintenant à dérouler sur 10kms de plat ou assimilé avant la dernière grosse montée à la gare d’arrivée du Alpspitzbahn.
Sur ces 10kms à plat, je vais courir à entre 9 et 10 km/h en prenant le temps de m’arrêter aux ravitaillements proposés. Je me suis suivre par un concurrent allemand qui lui, saute les ravitaillements ou presque, par en marchant et attends que je passe pour se coller dans mes pas à moins d’un mètre, ce qui a le don de m’énerver. Qu’il veuille courir à deux, pourquoi pas, mais qu’il passe devant un peu pour faire les relais aussi, ou qu’il parle… Je passe les 10h de course, au 61e km du parcours. Un peu plus loin, il me semble me faire insulter par des poches à gnioles allemandes à la terrasse d’un bistrot, fumant et buvant des bières. Je trace mon chemin… Le suiveur est toujours collé à mes RT5.2 alors je décide d’accélérer vraiment pour le semer et être enfin tranquille. Une petite accélération à 12km/h sur 400 m et hop, après 3 virages c’est la délivrance.
Par contre, je commence vraiment à rentrer dans le dur… il reste 35 kms, je suis au bout du rouleau. Les jambes sont lourdes, le moral est vraiment pas bon. J’ignore vraiment pourquoi je suis dans un tel état. L’envie de courir n’est plus du tout là, les jambes sont lourdes, personne avec qui discuter. Même la petite côte qui se profile à l’horizon ne me fait pas envie. Je m’arrête au ravitaillement et y trouve des mars… comme on dit « Mars, et ça repart… ». Faut pas que je m’arrête trop longtemps, sinon j’arrête là. En plus du mars, je vais passer sur un autre produit dopant pour continuer ma route… la musique ! Petit à petit je reviens à des envies plus positives, même si j’en ai vraiment marre de ses sentiers type autoroute allemande damée à la grosse berta. Enfin bref, je continue mon petit bonhomme de chemin, en toujours en marchant.
A 20 km de l’arrivée, au ravitaillement V8, totalement dévasté (y a plus rien à manger), au pied de la dernière bosse, c’est décidé, j’abandonne. La dernière descente sur ces marches de *****, j’en peux plus. Plus le moral, pas de plaisir. Je sors le téléphone pour appeler l’organisation, et là, pas de réseau. Un peu plus loin, je discute avec un coureur Suisse de Berne, qui voyant mon état, va prendre plusieurs longues minutes pour discuter et proposer de me ravitailler. Je lui dit que pour moi, ça s’arrête là, puis en continuant un peu, tout en discutant, la forme et le moral reviendra petit à petit. On est dans la dernière ascension. Il a joué le petit filou ce concurrent… maintenant, si je veux abandonner, de toute façon, faudra que je fasse presque tout le reste du parcours pour rallier l’arrivée. Me rappelant le conseil de Nico laissé sur facebook, j’économise mes forces et grimpe tranquillement en mode rando cool. Exit le chrono, le temps, la place au classement, faut juste finir ! Alors c’est la balade ! Au ravitaillement V9, au 3/4 de la dernière montée, je m’arrête, bois une soupe, un thé chaud, sort la GoreTex pour éviter d’attraper froid dans le vent frais de la nuit. Je mange aussi du fromage et des bretzels et quelques bonbons qui trainent par là. J’attaque ensuite tout seul les 200 derniers mètres de montée vers la gare d’arrivée du Alpspitzbahn. La seule compensation que j’ai trouvé à faire cette petite boucle, c’est que je peux enfin voir, certes de nuit mais quand même, le Zugspitze ! Puis en redescendant, je vois aussi Garmisch-Partenkirchen illuminé au fond de la vallée. Ça valait le détour. Je repasse au V9, qui est maintenant le V10 pour moi, chope 3-4 bonbons et attaque la descente. J’ai encore un peu d’eau. L’arrêt serait celui de trop je pense. Il reste 6 kms, 4 de descente pour 700 m de D-, et 2kms à plat pour rejoindre la ligne d’arrivée. J’appréhende beaucoup cette dernière descente, mentalement parlant. Les marches me gavent au plus haut point. Je continue certes mon petit bonhomme de chemin en tentant de garder des pensées positives. Je joue avec la Petzl NAO, éclairant au près, puis au loin, puis au près, puis au loin… on s’amuse comme on peut ! Petit à petit, les marches deviennent de plus en plus rare et je commence à recourir. Je double plusieurs concurrents d’ailleurs et je trouve ça fun ! Un des concurrents doublés décide de me coller au train (c’est la mode ou quoi ?). Je ne fais pas attention et reste concentré sur mes pas. Plus on descend, plus les sentiers deviennent glissants. J’ai bien compris que je fais le cobaye pour ce concurrent à qui il en restait sous le pied.
L’arrivée
En bas de la descente, je suis enfin presque content de moi, j’ai pu faire la première et dernière descente de ce parcours sans marcher ou presque, bref, comme un traileur quoi. Sur le plat, un panneau indique « Suunto – 2 kms to go ». Un spectateur est là, à 1h du matin, je comprend qu’il faut dérouler, c’est plat jusqu’à l’arrivée. Je cours donc à plus de 12 km/h ces 2 derniers kms, me faisant applaudir un « zuper ! go go ! » d’un concurrent que je double. Un dernier virage et une erreur de parcours, un petit demi-tour, je perds une place mais on s’en fou et je passe la ligne d’arrivée sous le feu des flashs des photographes.
Un peu abasourdi, on me met une médaille autour du coup et je file récupérer mon tshirt de finisher. J’avais pensé prendre une bière à l’arrivée, me poser mais j’ai juste envie d’une douche et d’un lit alors je file à la voiture. C’est compliqué de conduire avec 2 poteaux à la place des jambes. Ca tire, c’est à la limite de la crampe. En sortant de la voiture, j’explose en larme, j’ignore encore pourquoi. Voilà, j’ai fait le Salomon Zugspitze Ultratrail.
Les résultats
Temps : 18h 08min 41,3s
classement scratch : 137 / 410
classement sénior homme : 72/162
Résultats en ligne : Salomon Zugspitze Ultratrail
Trace Movescount : Ambit 1
Merci de m’avoir lu.
Super récit, drôle et « intérieur »!
Tu t’en sors pas si mal, même si du coup la course fait pas forcément envie, l’impression que tu étais perdu au milieu des buveurs de bières 😀
Bizarre les douleurs aux genoux, faudrait pas que ça soit récurrent, les shoes c’est parce que tu aimes ou tu es en test?
En tout cas c’était important d’aller au bout je pense, ou à l’inverse un abandon aurait fait mal à la confiance, là t’es paré et il reste du temps pour être encore mieux! Ça va être quelque chose ce Tour du Mont Blanc, j’ai déjà envie de lire le récit :p
J’ai essayé de pas trop mettre la course en faute sur mon état moral et physique pendant la course… c’était la même pour tout le monde et ca reste une très belle course à l’étranger que je conseille pour l’ambiance, différente.
Les shoes, c’est mon gros problème en ce moment, je suis à la recherche de 2 paires pour faire l’UTMB, avec un changement à mi-course. J’ai pas encore trouvé chaussures à mon pied à ce sujet.
sacré aventure.
Avec ce que tu t’es mis dans les jambes les semaines précédentes et du repos, il te manque quoi pour être pret pour l’utmb ?
le terrain sera un peu plus connu, ça aidera le moral, et il y aura surement plus de monde pour discuter 😉
PS : les rt5.2, t’en es super content où tu cases juste un max de mot clés 😉
PS2 : les bonbons au ravitos, c’est aussi pour te préparer à encaisser les m&ms ?
Il me manque un peu de vitesse et un vrai moral de champion. J’ai été 0 à ce sujet sur cette course, même si l’objectif est différent avec l’UTMB.
PS: les RT5.2, content j’irai pas jusque là sur cette expérience mais c’est une bonne chaussure, le test parait dans la semaine !
PS2 : J’aurai pas le choix des m&ms pour fin aout donc autant tester avant… et j’avoue, ça passe super bien !
Wouaw! Sacré récit de course. J’ai vraiment cru a un moment donné que tu avais abandonné…
Sur 100km il y a de quoi raconter.
« ..des poches à gnioles allemandes.. » 🙂
Je ne connaissait pas l’expression.
Bravo! Et après autant de tension pas étonnant de fondre en larmes.
PS : Bien militaire la musique allemande! ça fallait droit! 😉
J’espère que tu as retrouvé la « patte » vinvin20 dans la présentation avec plein de photos et vidéos… j’ai essayé de faire au mieux pour montrer en quelques mots tout ce que j’ai vécu pendant 48h 😉
Doune, moi je fais ça que pour 10km…Pour en raconter 100 il me faudrait 10 billets comme celui ci…Mais pas de risque! 😉
J’espère qu’un jour tu te lanceras !
La vache tu as bien dégusté, dur quand même d’être tout seul sur ce genre d’épreuve, ça n’arrivera pas fin août!
Beau récit, j’ai vraiment cru que tu avais abandonné, sympa le petit filou
Avec le recul, je me dis que ca aura été un bon moyen de tester l’isolement d’une course en solo sur 100 kms et en ce sens, c’était parfait pour préparer la fin de l’UTMB.
Sans le petit filou, c’est sur que j’abandonnais.
bravo pour le mental et le finish, je crois bien qu’on à fait une petite partie de la descente sur le V4 ensemble, et échangé quelques mots.
bonne continuation pour ton UTMB
Effectivement, c’était une partie sympa du parcours .. un peu de compagnie dans ce pays où je comprend rien !
Le gap entre ‘failli abandonner’ et ‘abandonner’ est très très faible, je le connais bien.
La seule chose qui permet de ne pas rendre son dossard dans ce cas là -> c’est la détermination.
Tu en as eu à coup sûr ce jour là, ne penses pas que tu à été ‘faible’ mentalement, tu as fait le plus dur -> renoncer à l’abandon quand celui-ci devient presque une obsession.
Le reste c’est la routine dans ce sport et je trouve que tu l’à bien gérer.
Après, ne prendre son pied, c’est plus ‘problématique’ et ‘dommage’… mais ça n’arrivera pas à Cham’, tu seras remonter à bloc !!!
Au plaisir de lire ton CR de finisher UTMB 😉 et bravo pour ta course avec un chrono, qui plus est, assez costaud malgré tout !
rien à ajouter..
Quelle course et quel récit ! Je me suis régalé à te lire.
Punaise, tu enchaines en ce moment et on peut dire que tu mets toutes les chances de ton côté.
Tu vas ricaner à l’UTMB en doublant tout le monde 🙂
En tout cas, je te le souhaite.
finalement, j’ai pas autant ricané que ça… mais c’était le bon programme pour l’UTMB.
J’ai l’impression que tu fais une course de fou furieux tous les week-end ! J’suis un p’tit peu impressionnée t’imagines bien. Bravo pour le regain d’énergie après le presqu’abandon … Et puis MERDE pour l’UTMB 🙂
C’est vraiment une course de fou ?